pensées heureuses

Le choc Mumbai…

Premier Jour à Mumbai.
Odeur. A peine posé sur la piste, l’avion est pris dans l’odeur de l’Inde. Impossible
d’y échapper. Permanente, parfois forte et désagréable, elle me semble unique.
Mélange de chaleur, d’épices et d‘incapacité à gérer la vie d’un milliard
d’habitants, c’est la première sensation à l’arrivée.

Repères. De suite ils manquent, de suite tout est différent, tout va vite. La vie
grouille, la foule t’emporte, le flot ininterrompu d’hommes, de femmes, de
voitures, de bus, de taxis te saisit. Impossible de prendre le recul nécessaire, de
réfléchir, je suis dans un taxi…trop cher…à peine arrivé, l’arnaque des plus
classiques, le taxi…Peu importe, c’est la loi ici, si tu hésites on rétablit d’une
miette l’équilibre entre l’ultra riche que tu es et l’ultra pauvre qui conduit le taxi.
Homme avenant, ouvert, il me raconte sa famille, sa vie, son métier, son salaire.
53 ! par mois, et il estime que c’est un bon salaire…Son patron, le propriétaire du
taxi, m’a fait payer 15! de plus que le prix normal. Je lui laisse quand même un
bon pourboire…

Choc. Premier contact avec la ville, depuis le taxi. La ville se lève. Une couche de
brouillard mêlée de poussière flotte au dessus de nous, elle semble prête à se
poser à tout moment, à s’installer au coeur de la ville. Le soleil chassera la brume,
déposera la poussière sur le sol. Elle sera partout, ensuite, toute la journée,
projetée sur les hommes par le mouvement incessant.

Violent. Je le savais que ça allait être violent. Mais pas à ce point. Les images
reçues à travers la télé, les magazines, internet, ne peuvent permettre
d’appréhender l’Inde. Combien sont ils à dormir par terre dans les rues ? Des
milliers ? Des dizaines de milliers ? Et combien vivent dans ces taudis, ces
baraquements qui jouxtent la route ? Des dizaines de milliers ? Des centaines de
milliers ?


Hôtel. Pas le choix, en cette période tout est complet. Hôtel propre mais sans
aucun style, vieux et grinçant, on se croirait dans les locaux du KGB en URSS il y
a 20 ans. Parfait pour se reposer, laisser ses affaires en sécurité, préparer la suite.
Même un accès internet, et une vue splendide de la chambre, sur l’immeuble en
ruine qui est à 10 m. On fera avec, je ne suis pas venu pour l’hôtel. En parlant
d’hôtel, tout étant complet, il va falloir dès demain prévoir la suite du voyage.
Amis visiteurs de cette région de l’Inde, évitez la côte Ouest entre le 15 Décembre
et le 15 janvier, c’est la pleine période touristique.

La Rue. Elle se réveille lentement, on comprend que la Rue est un lieu de vie, pas
simplement un lieu de passage. Elle s’étire, se frotte les yeux, s’assied avant de se
lever. On y mange, rit, dort, vit….Magie des couleurs, même si toutes ne brillent
pas de a même façon. Magie de la Vie. Mais quelle vie ? Comment regarder,
comment comprendre, comment accepter, que penser tout simplement ? Les
repères à nouveau manquent.

Toilettes publiques. Passage indispensable après le thé et l’eau du petit déjeuner.
Une autre dimension. 2 Roupies, soit 3 cts d’!. Six ou sept « toilettes », trente
personnes qui se lavent, vont aux toilettes, rient…je détonne dans le paysage !
Content d’être un homme, de ne pas avoir à toucher quoi que ce soit. Mon
organisme européanisé ne supporterait probablement pas. Eux y vivent presque.
On me fait la place, m’oriente vers le lieu le moins usé, le moins sale. Sourires,
respect, un moment de Vie particulier en ce lieu improbable pour le riche européen
que je suis.

Police. Tous les 100m, la police. Dans tous les immeubles, des gardiens privés.
Armés de bâtons, de fusils, de rien. Jeunes, costauds, papys, édentés, pas une
femme évidemment…je ne sais pas s’ils sont utiles, s’ils permettent de lutter
contre la délinquance, ou si c’est un moyen de donner de l’emploi. On verra ça
dans les jours qui viennent.

Conduire. Le code de la route contient 2 points : Point 1 à gauche tu conduis.
Point 2 : en permanence tu klaxonneras. Je n’ai pas trouvé, ni dans les tais ni en
les regardant conduire, d’autres règles. Le rouge des feux doit être une
décoration, comme le vert et l’orange. Le piéton n’existe pas, la voiture a toujours
priorité sur lui. Pas simple de traverser quand on est jeune et en forme, alors
quand on est âgé et lent, on ne traverse pas…

Repas du midi. Pas facile de trouver un endroit ou déjeuner, la Rue ne me tente
pas, je n’ai pas envie de risquer mes intestins dès le premier repas. Enfin, un
restaurant où l’on mange assis. Et végétarien. Bondé, bruyant, vivant, empli de
sourires et de bonne humeur, je suis en Inde. Verre et couverts douteux, serveurs
tâchés, enfants de 16 ans qui s’affairent, je suis en Inde. Sérieux britannique dans
le service : soupe, mix végétarien, nan, café (nescafé avec du lait à la place de
l’eau), l’ensemble pour 3,5 !…Pourboire, 50 cts d’!. Sourires, on se précipite pour
m’ouvrir la porte, comme si j’étais un prince. Que faire, que dire, que penser ?
Temple Jain. Ferveur et tolérance…limite. Chacun est libre d’entrer, de prendre
des photos, de vivre sa vie de visiteur à proximité immédiate des croyants, pour
certains visiblement très engagés. Les mondes se croisent, se côtoient, se
tolèrent. Il n’y a pas de passerelle entre es différents univers car nous n’avons pas
les codes, pas le temps de communiquer. Dans un temple dédié au dieu à tête de
singe et à Shiva j’ai pu échanger avec le « responsable » des lieux. Après les
civilités usuelles, l’intérêt mutuel aux bases de la vie de l’autre, est vite venue la
proposition de venir prier les dieux du site…Chemin hors de ma portée, hors de
ma vision du monde. Nos univers se croisent le temps d’un échange fugitif puis
chacun s’en retourne à sa Vie.

Fiers. Oui, ils semblaient fiers d’avoir posé sur des photos. Alors plaisirs
partagés, j’ai osé, je leur ai confié mon appareil high tech, on a photographié à
tout va avec les frères et les cousins. Sourires, échanges fugaces futiles mais ô
combien sympathiques. Comment vis tu Bombay ? « I enjoy being in Bombay ».
We’d like to live in France. Everybody is dreaming, me of Bombay, you of
France…We’re dreaming on what we don’t have…We’re the same, you and me…

Black and Yellow Cab. Fatigue, après 6h à vagabonder dans Mumbai. Cab to go
home. Mini voiture, driver sympathique à l’anglais hésitant. Moment de bonheur
partagé, les sourires se parlent, les Vies se racontent. 100 Roupies (1,5!). Eclat
de rire. « Je sais que ça vaut 40 roupies (compteur) mais je te les donne… » Il
était tellement gêné de me demander ces 100 rupies, tellement mal à l’aise dans
ce rôle d’arnaqueur, il en rougissait. Que faire, que dire, que penser, comment lier
nos univers ?

Journée. Première journée incroyable, je pourrais repartir ce soir tellement j’ai
découvert de choses, tellement je me suis rempli l’esprit, le coeur. Mumbai avec
ses gratte-ciels en construction, ses innombrables pauvres, sa Vie… Indescriptible,
ces expériences ne peuvent que se vivre.

Partage. Voyager seul est passionnant, grisant…et frustrant. Manque le partage,
ce partage qui ici est à la fois si présent entre ceux qui n’ont rien et qui manque
de manière si criante entre ceux qui ont et ceux qui n’ont rien…

Mardi, 2è jour à Mumbai
Sérénité. La nuit a comblé le manque de sommeil. Musique nocturne, la fête était
proche. Mais la fatigue a vaincu. Douche, petit déjeuner, et let’s go to Mumbai 2.
Rue. La rue se lève, l’hôtel est face à Bombay Hospital. Scènes de matin qui se
lève, rue jonchée d’enfants, de parents, d’infirmes, de malades…La Rue est
brutale, comme leur Vie…

Noël. Incredible. Des traces de Noël : des pères Noël, des guirlandes, des « merry
Christmas… » Oui, je sais, je caricature, tous les indiens ne sont pas Hindous,
Bouddhistes ou adorateurs de Krishna ou Shiva. Mais mon esprit étroit d’européen
ne peut que sur réagir à ces manifestations importées des territoires où il a
grandi.

Rue encore. Les marchands, la Vie, tout est dans la Rue.
Marché. Improbable trou dans le mur, une porte. Derrière la porte, un marché.
Mumbai la vraie, celle de ceux qui vivent ici. Pas de fard, pas de simili, la Vie.
Poses, ils prennent la pose avec le sourire. Une autre Vie, un autre monde, je vois
mais je n’y vis pas, je ne sais pas si je pourrais y vivre.

Rue. Cricket. Ils jouent. Sourires, photos…Ils veulent être pris en photo. Sourires.
Puis jeu partagé, pour la première fois de ma vie je tiens une « batte ? » de
cricket ? Puis je lance la balle. Minutes de joie, de rires, les univers se mélangent,
la Vie est unie, unique. Que de bonheur dans ces moments, que d’espoirs à
partager ces quelques instants. Le sourire rassemble les peuples, les hommes
entre eux. Est-ce une découverte ? Non, et Oui en même temps. Nos univers
ultraviolents sont trop peu parsemés de sourires et de don, ici on touche es
extrêmes, la violence d’un milliard d’habitants en marche, et la joie offerte à celui
qui passe.

Rue. Enfant lavé par sa mère, camions surchargés, taxis de partout, charrettes à
bras improbables, des métiers impensables : aiguiseur de couteaux, porteurs
d’eau, raccommodeurs, cireurs de chaussures, vendeurs en tous genres…La Rue,
c’est la Vie.

Travail. Dans le marché, une dizaine de personnes attrape un grand et un petit
morceau de plastique. Assemblés, les deux formant une boîte. Alors je joue avec
eux. Ca y est, j’i travaillé en Inde. Eux ne font ça qu’aujourd’hui. Demain ? Ils ne
savent pas. Peut être rien. Ils m’ont accueilli avec le sourire, la joie était partagée
de se retrouver autour de ce job d’un moment. Photos, fierté de poser, une fois
encore. Rien d’autre que de la joie et du partage. I love Mumbai…

Gare. Marée humaine. Couleurs de joie, couleurs de Vie, j’aime les couleurs de
l’Inde. Qu’il est triste, l’hiver Parisien de gris et de noir vêtu. Ici les couleurs
éclatent, le vert rend gai, l’orange fait rêver, le jaune brille plus encore que le
soleil, le bleu vous éclate dans les pupilles. Les trains, de 1970 à nos jours, tous
les trains sont en garé. et transportent depuis Victoria Station (renommée
Chhatrapati Shivaji Terminus, mais l’ancien nom reste…) des centaines de milliers
de voyageurs. Démesure de cette mégapole humaine, rien ne se compte en unité
ici.

Tourisme. Indian Gate, Taj Mahal Hôtel, Coloba. Le quartier « touristique ». A la
pointe de la technologie, photo numérique et imprimante de poche, les artisans
photographes sont nombreux. Photos, carte postales, collier porte
bonheur…haschich…tout se vend ici. La misère est aussi un commerce, je finis à
acheter du riz et du lait pour bébé dans un improbable supermarché…Toute la
journée à côtoyer ce monde sans rien, cette indienne au sourire sans limite a fini
par me ramener à l’humanité. Combien c’est difficile toute la journée de refuser,
combien c’est bon de se laisser aller à un peu d’humanité, combien c’est frustrant
de continuer ensuite à refuser. Pas de solution, je n’ai pas de solution…
Businessmen. Quartier des finances, des ministères. Hommes de gris vêtus,
badges autour du cou, téléphone en bandoulière, uniformes en uniforme
international d’hommes d’affaires. Par grappes entières ils se déversent dans les
rues pour déjeuner, prendre le taxi pour rentrer, ou discuter. Nous sommes
n’importe ou sur la planète, sauf que l’on sent bien que les moyens ne sont pas les
mêmes. Une copie ? Non, des différences subtiles, avec le reste du monde, mais
un modèle original, à l’image de ce peuple : unique.

Femmes. Près des ministères, jeans et chemises, maquillages, chaussures
européennes, on sent la « libération ». Dans les rues, les couleurs. Peu de femmes
de 20 à 40 ans. Où peut être que je ne sais pas lire les âges ? Au marché les
hommes vendent la viande, les femmes le poisson. En dehors de cet exemple
précis, je n’ai pas vu une femme faire de commerce. Ni réparer une roue, ni
coudre, ni maçonner, ni nettoyer les rues. Pas une non plus dans le personnel de
l’hôtel, ni à conduire un des innombrables taxis. Les femmes, hormis celles des
ministères, semblent absentes ou tout au moins invisibles dans l’activité
quotidienne.

Manques. Il est difficile de s’apercevoir de ce qui manque. Des fumeurs ! Je n’ai vu
quasiment personne fumer. Des alcooliques dans les rues ! Pas le bouchon d’une
bouteille, pas une cannette. Dans le quartier de l’hôpital, pas un café qui ne serve
de l’alcool. Peut être un alcool fort au « permit room » ? A l’hôtel, touristes et
hauts revenus obligent, bière et whisky au bar. Les mondes ne se croisent pas. Au
prix de l’alcool, de toute façon, les gens de la rue ne pourraient pas abuser
souvent…

Architecture. Les restes de l’empire britannique, des gratte-ciels, des ruines, du
grand n’importe quoi, ici tout se mélange. Le seul repère commun est la
poussière, omniprésente, et les déchets, inévitables. Le bruit, l’odeur, la sensation
d’être seul face à des milliers d’autres, tout est prenant. Même l’hôtel n’est qu’un
havre fragile, tout le démontre. Le bruit, la chaleur, les cris, la musique, la
poussière, tout entre. La douche réparatrice n’enlève que la couche supérieure,
mumbai est entrée profondément en moi.

S’échapper. Pour échapper à Mumbai, une seule solution : la quitter. Mais il
restera des traces, il n’est pas envisageable d’effacer cette ville, cette Vie de sa
mémoire une fois passé ici. Venez, venez voir Mumbai, venez découvrir notre
planète. Je le savais, depuis mon premier passage en Inde, que c’est la visite
ultime, LE pays qui interpelle, l’endroit unique.

Etranger. De passage nouveau ce soir devant le « permit room », j’y vois des
indiens attablés devant de grandes bouteilles de bière. La scène de l’après midi
me revient. Le propriétaire m’avait adressé vers Colaba, la « zone touristique ». Je
comprends mieux maintenant ses hésitations et sa gêne. Il ne voulait simplement
pas de moi dans son établissement. That’s life !

Nuit. La nuit, je suis encore plus blanc !!Sortie de soirée, 2 heures à vagabonder
seul dans les rues plus ou moins éclairées de Mumbai. Un nouveau choc : ces
femmes, enfants, vieillards qui dorment sur le sol. Parfois sur un morceau de
tissu, sur un journal, pour certains sur une couverture. Pour d’autres c’est à même
le sol, sans rien. Et quelques centaines de mètres plus loin les restaurants
branchés avec les « valets » qui vous garent la voiture et vous ouvrent les portes.
Et je me dis qu’avec le prix de mon voyage une famille vit au moins un an…Les
débats seront longs, en moi, je le sens, je le sais. Comment trouver l’équilibre
entre les désirs, et le respect de l’autre ? Comment se payer un ultième voyage
quand d’autres vivent dans la rue, à même le sol, à quelques pas de moi ?
Comment a t’on pu construire un tel monde ? Depuis longtemps l’écologie est au
coeur de ma vision de la société. L’écologie politique, c’est à dire l’étude de nos
conditions d’existence. Ici c’est évident : tout se lie. Incapacité à gérer les
déchets, à produire sans détruire l’homme et la nature, incapacité à redresser une
situation catastrophique, c’est le système entier qui doit être repensé. Comment
ces hommes, ces femmes, peuvent ils me regarder passer, parfois jouer avec moi,
poser pour une photo, accepter que je passe sans leur donner la moindre pièce ?
Comment peuvent ils accepter de tels écarts entre eux et ceux qui les croisent du
haut de leurs berlines, de leurs 4X4, de leurs voyages en avion, de leurs parures
et vêtements de luxe ? Comment peuvent ils être si gentils et joyeux alors que
nous sommes si égoïstes ?

J’ai oublié: la nuit, l’odeur du tabac et de l’herbe se mélangent…
Je m’endors devant la TV au 56 chaînes…Je suis content d’être ici, je prends une
énorme leçon de Vie…

Jour 3 dans Mumbai.
Dans. Dans Mumbai, pas à Mumbai. Mumbai vous envahit, jusqu’à l’asphyxie. De
l’enivrement du début à la découverte paisible à l’impression qu’on ne sort jamais
du vacarme, les sensations ont fusé en 3 jours. On est « inside », pas de repos,
pas de répit, cette ville est un ventre, tant qu’on est à l’intérieur on la vit
intensément, il n’y a pas d’échappatoire.

Cour des miracles. La rue devant l’hôtel, c’est la cour des miracles. Face à l’hôtel,
l’entrée du Bombay Hospital. La rue devant, une énorme salle d’attente pour
déshérités, malades, handicapés, traumatisés, morts en sursis, qui y passent le
jour et la nuit. Pour le pris de la bouteille d’eau fraîche à l’hôtel, la famille mange
toute la journée…Mais que faire, une fois de plus, devant le nombre ? Ils sont des
centaines juste dans cette rue. Et je ne suis pas encore allé à Dharavi, le plus
grand bidonville d’Asie…J’appréhende, je l’avoue, cette rencontre…

Poussière. Ne fois de plus elle est partout. Du bateau on voit un voile flotter au
dessus, sur, dans la ville…Poussières, pollutions, une fois de plus la règle se
confirme : les plus pauvres subissent de plein fouet la pollution d’un mode de vie
en inadéquation totale avec ce que l’on pourrait dénommer sain, serein, vivable,
viable…

Dabbawallahs. La nourriture est faite par les familles en banlieue, ou cuisinée par
une caste de cuisiniers. Elle est transportée, dans des petits sacs, des gamelles,
en train jusque Churchgate, et là sur le trottoir elle est distribuée à d’autres
porteurs. Ils iront jusque dans les bureaux déposer le repas de midi. Ballet
incroyable, survivant d’un temps qui s’efface malgré tout peu à peu. Les marchand
d’eau, tout proches, ont eux disparu il y a peu. Les Dabbawallahs prennent le
même chemin, celui du souvenir. La voiture, le mode de vie « occidental »,
amènent d’autres moyens de se nourrir, de se vêtir, de partager, de vivre.
Elephanta Caves. Bateau, et arrivée sur une des destinations touristiques de
Mumbai les plus prisées de touristes étrangers et indiens. Je ne m’étais pas
aperçu, les jours précédents, qu’il y avait d’autres blancs à Mumbai. Ici on les
croise, guide à la main. Elephanta est un vaste dépotoir…Les caves sont
historiques, et dans un état de délabrement avancé. Entrée 10 Roupies (0,15!),
pour les natives, et 250 (4,25!) pour les foreigners. Je ne sais pas quoi en penser.
Sauf que ce site va probablement disparaître si on ne le nettoie pas. Bref, je
préfère les Rues de Mumbai. J’ai coché « Elephanta caves » dans mon guide, mais
si j’aurai su, j’aurai pas venu !

Prière. Taxi pour rentrer, 3 jours de marche ça use les mollets. Et manger des
légumes, des légumes, des légumes…Heureusement il y a le riz, les naan et les
puri pour donner de ‘énergie. Et ma petite (!) bière le soir en rentrant à l’hôtel.
Traversée d’une partie de la ville, je ne comprends pas comment le chauffeur a
fait pour ne toucher aucune autre des voitures ! Incredible !! Plié en 4 dans la
voiture de taille manège, j’observe les pieds des piétons, et difficilement les rues,
quand je me plie vraiment fort. A l’arrivée, je demande le prix. Consultation du
guide officiel en papier par le chauffeur. Je connais les prix maintenant, c’est le
montant qui est indiqué sur le compteur multiplié par 13 environ. Et il m’annonce
40 rupies. Le vrai prix, là ou hier son collègue tremblotant m’en avait annoncé
100. Je lui en donne 100, l’honnêteté ça doit payer ! Il se signe 4 ou 5 fois, prie
tout haut…je ne sais plus quoi penser, quoi faire, quelle planète de fous, comment
avons nous pu construire tout cela ?
Ce soir un peu de repos, à l’hôtel, et d’ici demain midi je construis le reste du
voyage.

Day 4, the 31 of December 2009
Englué. Je suis englué dans Mumbai. On ne put décrire Mumbai, il faut le vivre, il
faut la vivre. Chaque minute est une découverte, chaque rue ouvre de nouvelles
perspectives, chaque pas offre un nouveau spectacle. Cette ville est si vivante, si
extravagante, tellement loin de tous mes repères, elle me perturbe.

Odeurs. A nouveau elles sont partout, puissantes. Sur le port, avec les pêcheurs,
elles étaient d’une violence rare. De longues minutes après j’en étais encore
imprégné. Même la douche ne donne que l’illusion de quitter la poussière et les
odeurs de Mumbai. Il faudra plusieurs jours pour que tout s’estompe, pour que la
peau et l’esprit retrouvent le calme, la sérénité, se sentent propres.

Rue. Elle est de plus en plus violente. Ces familles qui y vivent, ces enfants nus et
sales qui y survivent, ces vieillards qui y « font » les poubelles, ces jeunes femmes
avec leurs enfants en bas âge, comment font ils pour « vivre » ? Je ne sais pas si
c’est le terme approprié…Ils n’ont rien qu’un morceau de tissu en guise de
vêtement, quelques cartons et couverture en guise de « maison »…Les regards
deviennent insupportables : je ne m’habitue pas. Bien au contraire tout cela
devient oppressant…

Couple. Deux jeunes, main dans la main. Ils sont beaux, ils sourient, ils défient les
millions de ceux qui les entourent en assumant publiquement leur envie d’être
ensemble. S’en rendent ils compte ? Je ne sais pas, en tout cas cette minute de
fraicheur est un havre de quiétude dans l’enivrante Mumbai.
Repas. Au pied des immeubles d’affaires, je retrouve les Dabbawallahs. Ils
arrivent en courant avec leurs charrettes pleines de gamelles. Les autres mangent
debout, dans la rue. Une assiette en métal avec des séparations, pour poser un
puri, où une espèce de crêpe/chips de 30 cm de long craquante, et un mélange
de ? Légumes, riz viande ? On mange avec la main droite. Puis un peu d’eau pour
laver la main, et on repart au travail.

Gardiens. Je ne sais pas combien il y a de gardiens à Mumbai. C’est probablement
le métier le plus important en nombre, avec les chauffeurs de taxis et les
marchands de rue ? Je les vois assis, ou déambulant lentement le long des
immeubles ou à proximité des grilles d’entrée. Il y en a quasiment à chaque
immeuble, chaque commerce un peu chic. Plusieurs pour les grands immeubles.
Ils sont armés près des sites gouvernementaux.

Voitures. Je ne sais pas comment je fais pour être encore en vie. Les voitures sont
folles, le piéton n’existe pas. La plupart des traversées est une course, nécessite
une attention soutenue. Vers 13h 30, faim et fatigue aidant, l’attention tombe, le
risque est certain. Manger n’est pas une option. Pour rester lucide, éveillé, après
les 4h de marche du matin, il faut un peu de repos et de nourriture. La journée
sera longue, nous sommes le 31. Impossible de s’en rendre compte, ici. Chaque
jour semble être comme la veille et comme le lendemain. Que ferai-je ce soir,
pour le réveillon ? Rien…Juste aller marcher sur le front de mer, à Marine Drive,
pour partager un morceau de la nuit avec les habitants de Mumbai…

Don. Le nombre de mendiants est incroyable. De quoi vivent ils ? Je vois des
indiens donner de l’argent, donner des repas. Je vois un indien en costume
s’approcher d’une vieille femme, ses enfants, ses petits enfants, tous dans la rue.
Ils sont près de 3 vaches. L’homme sort des boulettes pour nourrir les vaches, les
touche du bout des doigts. Il donne de la nourriture à la famille, laisse un billet à
la vieille femme. Il poursuit ensuite son chemin. Tout semble si normal, et
pourtant…Donner reste si rare…

Métiers. Perchée sur son tabouret, une jolie femme d’une trentaine d’années tape
sur une machine à écrire. On se presse autour d’elle, une brassée de papiers dans
les mains. Lunettes sur le nez, elle ressemble à une institutrice, ou à un avocat,
peut être est elle un peu des deux ? Un photocopieur hors d’âge dans la
« boutique » d’à côté, c’est un « Xerox Center » ! Dans la rue des dizaines de
machines à écrire posées sur des cartons où des petites boîtes en bois. Les
hommes sont assis par terre, et tapent sous les ordres des clients debout à côté
d’eux. Plus loin les cireurs de chaussures, les marchands de chaussures, les
marchands en tout genre, ceux qui cuisinent, ceux qui raccommodent. Les trieurs
de papiers, beaucoup sont des femmes. Assis au milieu de tas de papiers
gigantesques, ils trient : papier blanc d’un côté, carton, papiers de couleur de
l’autre, etc…Les balayeurs : agents publics, avec un bout de tissu devant la
bouche pour éviter d’avaler la poussière qu’ils ne font que déplacer vers la route,
et que les voitures leur renvoient immdiatement. Uniforme, balai, ballet de
l’inutile.

Hôtel. C’est un refuge, le lieu ou je me ressource quand la pression de Mumbai
devient trop forte.

La Rue m’abîme, je ne vois pas comment on peut en sortir ceux qui y vivent, ou
plutôt qui y meurent petit à petit. On ne naît pas égaux, et c’est peu de le dire
.
Ici
je touche à la misère, à la limite de la vie et de la mort. La frontière de
l’acceptable est pulvérisée. Je savais, mais je ne savais pas que ça ferait aussi
mal. Venez à Mumbai, venez prendre conscience de ce qu’est notre monde. Un
jeune arborait un t-shirt ce matin : « We are the world »…
Ce soir, c’est réveillon. C’est une nuit comme les autres. Demain, c’est un jour, un
jour comme les autres…

Day 5, The 1st of January 2010.
20heures. Il est 20 heures et j’ai encore l’odeur de Dharavi sur moi, en moi. Je
n’ose raconter la couleur de l’eau qui s’écoulait, sous la douche, ni la couleur du
mouchoir…Pourtat je n’y suis resté que quelques heures…

Photos. Celles qui suivent ne sont pas toutes de moi, il est « interdit » d’en
prendre. Le guide fut tolérant. Il est amoureux, il a fait sa demande hier…Il est
tout guilleret, même si la belle l’a mis e attente ! Je lui apprends et griffone
quelques mots de français. Il est heureux, avec ça c’est sûr il va l’impressionner !
Churchgate station. Le voyage commence. 12 Rupies (0,18! l’aller retour, deux
trajets de 30 mn).

Arrivée…

Décor. Le décor est planté. 1 million d’habitants dans le plus grand slum du
monde. On y vit. On y travaille. Le guide est fier d’annoncer 6,5 Millions de dollars
de CA annuels dans Dharavi. Ici on ne reste as à rien faire, il faut casser l’image
de l’Indien fainéant dans les bidonvilles !

Cinéma. Mais sur écran TV, plus petit qu’un vrai écran donc moins cher. Dans les
rues les enfants jouent aux billes, et viennent nous faire de brillantes
démonstrations de toupie. Sourires, tout au long du trajet de joyeux « Hi, how are
you ? » et des poignées de mains par dizaines. Nous voir est un spectacle…
Recyclage. Rien ne se jette à Mumbai. Le business n°1, ici c’est le recyclage du
plastique. Trié et découpé à la main, broyé en machine, il repart vers les
industries pour redevenir du plastique. Mouchoirs dérisoires pour se protéger des
poussières…Coques d’ordinateurs, caisses de Pepsi, tout ce qui est plastique,
collecté à la main dans Mumbai, finit ici.

Fumées. Des boîtes de peinture. Pour les remettre à « neuf » on les brûle. Ca
décolle l’emballage, brûle les restes de peinture. Ensuite, à la main, on
débosselle…Incroyable…Tout ce qui est alu est également récupéré, cassé, broyé
et finit en ligots d’alu qui repartent vers les industries. Et les hommes au milieu de
ça ?…

Boîtes. Pour les huiles végétales, récupérées dans tous les restaurants.
Travail. Ici on travaille à l’année, ou au jour. Ou dans les usines d’Etat. Entre 100
et 150 roupies par jour (1,5 à 2,25!). Tous les métiers existent à Dharavi :
coiffeurs, barbiers, cuisiniers, laveurs de linge. Le fer à repasser est manié par les
hommes. Il est chauffé…au charbon de bois…

Industrie. Les clients sont des industriels. Ils viennent récupérer à vil prix de la
matière recyclée où des produits finis. Un gamin de 14 ans agrafe à la machine
des cartons d’emballage. Toute la journée, debout, à agrafer. Ici des hommes
cousent. Je ne sais pas pour quelle marque de vêtements.

Recyclage. Tout se recycle, même les pierres mal taillées reviennent ici.
Rivière. Une rivière traverse Dharavi. Depuis Delhi il y a 17 ans je n’avais jamais
rien vu de tel. Y mettre le bout du doigt, c’est la maladie assurée, y tomber, c’est
la mort…

Eau & électricité. Il y a de l’électricité 24h/24, Dharavi assure même en partie sa
production. Il n’y a de l’eau que 3h par jour, alors on s’organise, des bacs de
stockage sont disséminés partout. Puis des seaux, puis des petites bassines, et
enfin des petits récipients en plastique. L’eau finit ainsi dans les habitations.
Enfants. Ecoles, enfants en uniforme, et d’autres qui jouent dans les rues. Le
guide nous annonce que tous vont à l’école, filles comprises. La plupart des
enfants sont propres, habillés correctement. La plupart…Mais il y a moins de
haillons et de mendiants que dans Mumbai. Les conditions de vie sont
impossibles : 40% des familles, entre 6 et 8 vivent dans 10M2…Les autres, au
maxi 20m2…Dans les habitations aux portes entrebâillées, des Tv de temps en
temps, un peu de mobilier, de rares tapis, et beaucoup de cartons pour vivre et
dormir. Ils ne partent pas ? Question idiote… Ils sont nés ici, ne connaissent que
ce mode de vie. Personne ne se plaint. Même quelques uns qui ont réussi
continuent à vivre ici, pour retrouver l’esprit de Dharavi.

Hommes. Ils sont broyés, en sont ils conscients ? Les poumons, la peau, les yeux,
les mains…
Un homme colle des semelles de chaussures. Il se met de la colle sur
les doigts et enduit la semelle. Les potiers marchent pieds nus dans la glaise, puis
passent leur temps à proximité du feu, respirant les fummées de la poterie, et
celles du plastique, de la peinture qui brûle…

Vision d’horreur. Oui, ces ruelles sombrs ou vivent les habitants, avec ces rigoles à
ciel ouvert au pied desquelles ils lavent le linge, cuisinent, vivent, laissent jouer
les enfants, c’est pour moi l’occidental une vision d’hrreur. C’est l’image du moyen
âge de l’hygiène. Le dépotoir ultime existe : ce qui n’est pas recyclable est mis en
tas. Un tas sur lequel les enfants jouent, et les vieillards cherchent de quoi
recycler encore, on ne sait jamais. Mais ce tas d’ordures gigantesque brûle !!!
Toilettes. Les toilettes publiques voient défiler 1000 personnes par jour par
toilette. 27% des habitants préfèrent faire leurs besoins dehors. L’odeur est
parfois intenable, à proximité des toilettes, des endroits où sèchent les cordages,
ou l’on traite les peaux, où l’on tue les chèvres…Au milieu un homme se brosse les
dents, d’autres se lavent, se font raser, se font coiffer. Les ONG aident les écoles,
il y a une salle pour accueillir ceux qui veulent aller sur internet, et même des
conseils pour le « développement personnel ». Le midi, les hommes et les enfants
rentrent manger en famille. La vie, sous certains aspects, est la même partout sur
la planète.

Dharavi. Cet endroit ne s’oublie pas.
Ce morceau de planète, Mumbai et ses environs, est incroyable. La vie grouille, la vie explose de partout. La mort, la
vieillesse, la misère côtoient la Vie, la jeunesse, la richesse. Tout vous saute aux
yeux, vous prend à la gorge. Dharavi ne se raconte pas. Mumbai ne se raconte
pas. Il vous faut venir les vivre…C’est une expérience incroyable.
Poignardé. Oui, cette ville m’a poignardé. Il faut oser la regarder, entrer dans son
ventre, la laisser vous remuer les tripes. Mais elle est tellement violente que
l’impression est celle d’un coup de poignard dans ma vie. Comment vivre avec
Mumbai, comment vivre loin de Mumbai ?